Juste au dessus du Col du Lautaret, la remontée de la Combe de Laurichard jusqu'au Col de Laurichard (2 654 m) est une excursion facile, très prisée hiver comme été car elle offre une belle vue sur les glaciers de la Meije une fois arrivé au col, à 2 654 m. Elle permet de pénétrer au coeur du massif du Combeynot, qui montre des faciès de gneiss très particuliers. Elle permet aussi d’approcher de près des glaciers rocheux anciens et un glacier rocheux actif qui compte parmi les appareils de ce type les mieux étudiés qui soient.
Sur les deux photos ci-dessous, un aperçu général du versant Nord du massif du Combeynot, entaillé obliquement par la Combe de Laurichard. La partie supérieure de cette dernière est masquée partiellement par les contreforts de la Pyramide de Laurichard.
À gauche, une photo prise du Jardin Alpin du Lautaret (Ph. A. Pêcher). Immédiatement en arrière de la route qui monte de Villard d'Arène au Col du Lautaret, les prairies à relief mou sont posées sur les calc-shistes du Lias. Tout à gauche, le curieux relief cônique de Serre Orel, fait des mêmes calcschistes, a été isolé par l'érosion glaciaire.
Plus haut, les reliefs mamelonnés de la partie inférieure de la combe sont creusés dans les gneiss rhyolitiques et rhyolites du Combeynot (regroupés sous le nom de "rhyolite" sur la figure) et dans des gneiss semblables à ceux du massif des Écrins, plus à l'Est (notés "gneiss", en sachant que gneiss et rhyolites sont très interpénétrés).
Le contact sédimentaire-cristallin passe à la base des premiers affleurements rocheux. Il est souligné par quelques bancs massifs de dolomie rousse. Dans sa partie finale, le chemin recoupe le granite à gros grain, qui forme aussi, au dernier plan de la photo, toute la moitié supérieure du versant N du Roc Noir (3 112 m) et des Pics Ouest et Est du Combeynot (3 155 et 3 145 m). Coupant tout le versant, une lanière de roches noires est bien visible : c'est un gros filon de basalte, parfois appelé la "cravate du Combeynot".
À droite, une vue panoramique sur le versant nord du Combeynot depuis la route du Galibier (Ph. B. Francou). Sous cet angle, les formations quaternaires, très développées, sont bien visibles : A/ le glacier rocheux de la sortie de la Combe de Laurichard, B/ le glacier rocheux de la bergerie, C/ le glacier rocheux du Lautaret, D/ la "moraine de névé" du Lautaret, E/ le Glacier du Combeynot, avec sa moraine datant du petit âge glaciaire, F/ le glacier rocheux actif de Laurichard, G/ le Roc Noir du Combeynot (3 112 m), H/ la Pyramide de Laurichard (2 687 m). Le repères A à D sont des glaciers rocheux datant du Dryas récent (voir plus bas).
Le chemin de montée dans la Combe de Laurichard depuis le Col du Lautaret atteint très vite des affleurements de gneiss, qui à première vue rappellent beaucoup les gneiss "banaux" du massif des Écrins (photo de gauche). Mais en se déplaçant latéralement de part et d'autre du chemin (surtout vers l'Est), on touche des affleurements souvent faits d'un gneiss à aspect très particulier. Il est très massif, très blanc, sans cette alternance de lits sombres et de lits clairs si caractéristique des gneiss courants. Si on regarde de plus près, on voit quand même qu'il a une structure planaire nette, marquée par des petites lentilles très étirées, d'un gris huileux : il s'agit de "flammes" de quartz, isolées dans une matrice à grain fin quartzo-feldspathique (photo du centre, la foliation métamorphique est parallèle au crayon). Localement, cette orientation disparaît, le gneiss passant à une roche toujours à grain très fin, mais parsemée de petits grains 1/2 centimétriques globuleux ou anguleux, du même quartz à éclat huileux (photo de droite). On reconnaît alors une rhyolite, une lave peu fréquente dont la composition est celle du granite (c'est l'équivalent éruptif, cristallisé en surface ou très près de la surface, du granite, cristallisé lui en profondeur et plus lentement).
La transition entre ces deux faciès est souvent assez continue (le faciès rhyolitique forme des masses diffuses dans le faciès orienté), ou au contraire la rhyolite peut recouper le gneiss en filons plus ou moins épais (jusqu'à plusieurs m). A échelle du vallon, ces roches sont imbriquées dans les gneiss banaux du socle cristallin, mais leur relation réciproque est mal établie.
La signification et l'âge des gneiss et des rhyolites du Combeynot reste débattus. Ces roches sont très probablement les restes d'anciens appareils volcaniques. Elles sont intégrées dans le socle cristallin pré-triasique, mais elles semblent moins métamorphiques que les autres gneiss. La roche initiale semble bien préservée, mais cela provient peut-être du fait que ce sont des roches à la fois anhydres (un frein aux réactions chimico-minéralogiques du métamorphisme), et au chimisme très pauvre en Fe et Mg (qui sont des composants chimiques essentiels pour la plupart des minéraux marqueurs du métamorphisme, par exemple la biotite ou le grenat).
On a donc longtemps pensé que cette série était plus jeune que le reste du socle, peut-être d'âge Permien (250-290 Ma), puisque des roches semblables sont connues ailleurs dans le Permien des Alpes françaises (par exemple dans les gorges du Guil, à l'entrée du Queyras). A l'encontre de cette hypothèse, il faut noter que le granite du Combeynot, qui est intrusif dans ces séries et donc plus jeune qu'elles, fait partie du cortège des granites hercyniens des Massifs Cristallins Externes (Mont-Blanc, Belledonne-Grandes Rousses, Écrins-Pelvoux, Mercantour), tous datés entre 300 et 340 Ma.
À l’entrée de la combe, depuis le captage des eaux pour le col du Lautaret vers 2 100 m, ne pas manquer de s’arrêter un moment pour observer en regardant vers l'Est les 4 glaciers rocheux en enfilade qui, depuis le versant du Combeynot, viennent s’adosser sur le col à 2 050 m.
À gauche - Les 4 glaciers rocheux de la base du Combeynot : (A) celui de la sortie de la combe où l’on se trouve, (B) celui de la Bergerie, (C) celui du Lautaret où prend sa source la Guisane, et au fond, (D) un glacier rocheux interprété comme une moraine de névé par les anciens géologues dauphinois.
À droite - Depuis la galerie de la Marionnaise, un peu en aval du col du Lautaret coté Guisane : la "moraine de névé" du Lautaret (D sur la photo de gauche), interprétée dans le passé comme un dépôt lié à la persistance d'un névé sur lequel glissent les chutes de pierres avant de s'arrêter au pied. Cette forme de bourrelet est reconnue de nos jours pour être un petit glacier rocheux.
Des datations au béryllium 10 (10Be) (voir lexique) pratiquées sur les deux glaciers rocheux les plus éloignés ont donné des âges proches de 11 600 ans BP et 11 800 ans BP, ce qui permet d’attribuer logiquement leur phase de stabilisation au début de l’Holocène et leur formation au Dryas récent (Charton et al., 2021). Ce sont des appareils fossiles qui au moment de leur formation bénéficiaient d’un climat d’environ 3,6°C plus froid que celui du XXe siècle. Ces températures correspondent à celles attribuées au Dryas récent dans les Alpes suisses et autrichiennes. On en déduit que le pergélisol existait à cette époque environ 600 m plus bas en altitude que de nos jours en versant nord.
En se retournant, on a une vue dégagée sur le versant rocheux rive droite du vallon, où les gneiss (ici les gneiss "banaux" du socle) et le granite sont recoupés par le gros filon noir de basalte (la "cravate" du Combeynot).
Les filons volcaniques "basiques" (c. à d. relativement pauvres en SiO2, de l'ordre de 55% alors qu'un granite en a plus de 65%) sont abondants dans tout le massif des Écrins. Comme par exemple celui qui se développe au dessus de la Bérarde, des abords du refuge de Temple-Écrins jusqu'à la Bosse de la Momie, formant au passage la "cravate" du Fifre, ou ceux très nombreux dans tout le petit massif du Sirac. Ces types de laves sont associés à de l'extension de la croûte continentale. Dans le massif, il y aurait deux familles, peu différentes chimiquement, marquant deux périodes d'extension distinctes : l'une à la fin du cycle hercynien (extension tardi-orogénique), l'autre plus tardive, correspondrait plutôt aux prémices triasiques de l'ouverture de l'Océan Alpin.
À gauche, le glacier rocheux de Laurichard, depuis la Pyramide de Laurichard. A droite de la photo, le front raide d'un autre glacier rocheux situé sous le Roc Noir du Combeynot (3 106 m) (photo B.Francou).
À droite, une vue aérienne du même glacier rocheux (image IGN-Géoportail, vue vers le Nord). On distingue très bien le glacier rocheux (la langue bourrelée dans la partie centrale de la photo) et à sa droite un grand cône d'avalanche et torrentiel, dont les génératrices presque parfaites sont soulignées par quelques chenaux dûs à des écoulement orageux récents
Un nouvel arrêt vers 2 450 m permet d’avoir un bonne vue sur le glacier rocheux de Laurichard qui est étudié depuis le début des années 1980. Forme caractéristique des glaciers rocheux : front externe raide (plus de 40° de pente), bourrelets serrés arqués vers l’aval dans la zone frontale, alignés dans le sens longitudinal sur les bordures. Les vitesses de déplacement en surface varient sur l’axe longitudinal de 30-40 cm/an dans la partie supérieure, à 100-140 cm/an dans la partie médiane la plus inclinée, et à 40-50 cm/an dans la zone frontale. Ce sont des vitesses au moins 10 fois inférieures à celles que l’on relève habituellement sur des glaciers de même dimension et de même pente. Les mesures pratiquées sur plusieurs décennies montrent que les déplacements varient en fonction du temps (voir la figure). Ces vitesses tendent actuellement à augmenter, conformément à ce que l’on observe sur d’autres glaciers rocheux mesurés, sans qu’on sache encore quel rapport cela peut avoir avec le climat de plus en plus chaud que l’on enregistre depuis quelques décennies à cette altitude.
Vitesses d'avancée de quelques blocs stables situés sur l’axe médian longitudinal du glacier rocheux de Laurichard (vitesse moyenne en rouge), mesurées annuellement entre 1983 et 2016. Ces vitesses varient selon les périodes, avec une tendance à l’accélération depuis 2010 (Francou et autres, 2020).
Des sondages géophysiques ont montré la présence de 20% à 50% de glace dans les matériaux rocheux, avec une concentration maximale dans la partie au dessus de 2 600 m. C’est cette glace, massive ou interstitielle (occupant les vides entre les blocs rocheux), qui en se déformant dans la pente entretient le mouvement et rend compte des bourrelets. La glace provient pour partie de l’ensevelissement des névés tardifs sous les chutes de pierres qui se produisent sur ce versant rocheux nord de la fin du printemps au début de l’automne, pour partie de l’effet du regel des eaux de fonte estivales percolant en profondeur et regelant au contact de matériaux se trouvant à des températures suffisamment négatives. Notons que dans le futur si une grande partie de cette glace fond, le glacier rocheux ne va pas reculer, comme le ferait un glacier classique, mais il va s’immobiliser et persister là où il se trouve au prix d’une réduction sensible de son volume. Il se fera alors coloniser par une végétation pionnière, lichens, graminées, lande rase, espèces qui poussent en l’absence de sol organique.
À gauche : le Col de Laurichard (2 654 m), vu depuis environ 2 600 m d'altitude, sur le glacier rocheux au pied Nord du Roc Noir. En arrière plan, à gauche du col, La Meije (3 983 m). On distingue le chemin du Col. Là où il apparait derrière la pente caillouteuse du premier plan, les affleurements partiellement recouverts d'herbe sont formés de granite. Dans la montée terminale, le chemin recoupe des affleurements de nature variée, gneiss et/ou granite
À droite : juste à l'est du Col, sur du granite très clair. En arrière plan, la vue sur le fond du vallon de la Plate des Agneaux, avec au second plan à droite le chainon de Roche Méane, puis derrière à gauche les sommets de Roche d'Alvau (3 628 m) et de Roche Faurio (3 730m). Au dernier plan, derrière Roche Faurio, on devine les Écrins (4 102 m).
Ci-contre, les gneiss de la Pyramide du Laurichard, tout à fait analogues aux gneiss migmatisés (c'est à dire envahis de manière diffuse par du granite) du cœur du massif des Écrins.
Dans la partie supérieure de la Combe, le chemin du Col de Laurichard est tracé dans des éboulis et moraines stabilisés, en partie recolonisés par la prairie. On remarquera que les blocs formant les cônes d'éboulis du coté Pyramide de Laurichard sont formés essentiellement de gneiss, tandis qu'en rive droite du vallon les glaciers rocheux et éboulis actuels ou très récents qui encombrent tout le bas du versant du Roc Noir et du Pic Ouest du Combeynot sont entièrement faits de blocs d'un granite grossier gris (photo ci-dessus à gauche).
Le Col est à peu près à la limite entre du granite (à l'Est, très blanc) et des gneiss, plus sombres. Ces derniers forment un grand panneau résiduel dans le granite du Combeynot. Son contact avec le granite suit à peu près le couloir qui mène au Col. Le contact principal granite-gneiss est plus au Nord, dans la Pyramide du Laurichard. Il se distingue mal dans le paysage.