Le sentier des crevasses est l'itinéraire classique pour accéder au Refuge de l'Alpe depuis le Col du Lautaret. Sa description est ici en partie reprise de Pêcher et Tordjman (2018).
Après le Belvédère (sur l'éperon d'entrée dans la vallée du refuge), le sentier, taillé dans les calcschistes sombres du Jurassique, traverse sur plus d'un km un versant très raide, où il est un peu vertigineux. Régulièrement emporté lors des gros orages, il a été souvent refait et est normalement bien sécurisé.
D'un point de vue géologique, le sentier suit le lambeau de roches sédimentaires pincées entre le granite du Combeynot, au dessus, et les gneiss du socle, en dessous. La pile sédimentaire est découpée elle même en plusieurs écailles, comme le prouvent les dolomies en partie dissoutes du Trias moyen qui jalonnent dans le second grand ravin un chevauchement intra-sédimentaire (cargneules du ravin du Colombier, au niveau du chemin).
Au début, après le pont du parking, le sentier traverse de vieilles moraines et éboulis, d'où émergent des blocs arrachés par le glacier aux versants qui dominent. Il s'agit de gneiss et surtout de granite, qui affleure juste un peu plus haut dans le versant. Plus loin, le sol devient très sombre et beaucoup plus fin : le chemin est maintenant presque directement sur des calcschistes, qui affleurent çà et là.
On arrive rapidement dans des zones de prairie et la vue se dégage vers l'autre coté de la vallée (Montagne de Chaillol). Lorsque l'éclairage est favorable, on distingue bien dans ce versant la trace morphologique de plusieurs glissements de terrain. En fait, tout le versant est plus ou moins glissé. Certains tronçons de la route du Col du Lautaret sont d'ailleurs visiblement affectés par les glissements actifs, avec des "marches d'escalier" où la route est affaissée.
Comme tous les glaciers du massif, ces glaciers sont en régression rapide: en 1965, ils se rejoignaient pour former un seul glacier, qui descendait jusque vers 2 400 mètres d'altitude. Aujourd'hui, le glacier de l'Homme est séparé du glacier du Lautaret par une barre de rochers à nu d'environ 200 mètres de haut, et s'arrête vers 2 800 mètres d'altitude, celui du Lautaret ne descend plus qu'à 2 550 mètres environ (si l'on ne tient pas compte d'un peu de glace qui subsiste au pied du rognon central).
Le vallon est creusé entièrement dans des gneiss. A sa base en rive gauche quelques restes de dolomies du Trias, reconnaissables à leur altération couleur rouille.
Du belvédère, le chemin continue à traverser quelques prairies et atteint très vite une zone de thalwegs creusés dans des calcschistes très sombres : c'est le début du passage des "crevasses". Sur environ 1 km le chemin coupe à flanc des pentes très raides, traverse un ruisseau, passe un premier petit éperon équipé d'un câble, puis de nouveau des pentes plus herbeuses.
Au fond d'un petit talweg secondaire affleurent des roches plus massives, plus claires que les calcschistes précédents. A l’échelle de l'affleurement, on voit des alternances de lits de compositions un peu différentes, qui reflètent des variations initiales au moment du dépôt (boues à proportions variables d'argiles et de carbonates). Ces alternances matérialisent le plan de stratification de la roche. Dans les calcschistes sombres, il est souvent peu visible. En revanche, il y a un débit feuilleté très net, appelé schistosité. Elle est due à la recristallisation des argiles dans le plan d'aplatissement de la roche : c'est une surface d'origine tectonique, qui recoupe à un angle variable la stratification.
Sur cette photo, des faciès plus clairs et plus massifs que la majorité des calcschistes recoupés par le chemin. On sépare bien la schistosité, très raide, selon laquelle la roche se débite en fines plaques (débit feuilleté, partie gauche de l'affleurement), et la stratification, moins raide, marquée par la limite entre un gros banc massif clair et en dessouss de lui une zone moins massive, sans doute un peu plus argileuse et plus affectée par la schistosité
Après une courte partie herbeuse, on arrive à un second vaste thalweg creusé dans des calcschistes noirs : c’est la seconde partie de la zone des Crevasses, le thalweg du ruisseau du Colombier. Au dessus du chemin, là où il traverse le ruisseau, on remarque sur ses deux rives de part et d'autre du torrent des roches roussâtres, pleines de trous : il s'agit de cargneules.
Les cargneules du ravin du Colombier. Une cargneule est une roche formée par dissolution dans des dolomites des parties calcaires, les plus solubles. Dans la région, elles sont assez caractéristiques du Trias pincé dans les accidents tectoniques.
La répétition des calcschistes noirs du Jurassique en dessous et en dessus du Trias est anormale. Elle est due ici à un chevauchement à l'intérieur de la couverture sédimentaire, bien souligné par les rognons de cargneules. C'est une réplique du chevauchement principal du Combeynot, qui n'est donc pas un simple plan tectonique, mais plutôt un faisceau de plusieurs chevauchements.
À gauche : l'entrée dans le ravin du Colombier, vue vers le Sud. A l'intérieur des calcschistes sombres, la trace d'un chevauchemet intra-sédimentaire souligné par des lambeaux de cargneules triasiques. À droite, le même passage, mais vu de la sortie du ravin, en regardant vers le Nord. On voit nettement dans le haut du ravin le granite qui est au dessus des calcshistes, qui s'enfoncent sous lui. De même plus bas, au niveau du chamin, les calcschistes jurassiques du bas du versant s'enfoncent sous les cargneules triasiques. Autant d'évidences de la tectonique régionale, en écailles chevauchant vers l'Ouest, dans un mouvement global de racourcissement Est-Ouest !
À gauche, une carte simplifiée de la partie Est du massif des Écrins, du Combeynot et de la Haute Guisane (extrait de la carte géologique au 1:100 000e éditée par le Parc National des Écrins). À droite, une coupe géologique allant des Étançons, au Nord de la Bérarde, jusqu'au Combeynot, selon le trait bleu épais reporté sur la carte (d'après la notice de la feuille BRGM St Christophe en Oisans). Elle recoupe les formations sédimentaires du synclinal d'Arsine.
Le Trias marque la limite Ouest du sédimentaire de l'Alpe de Villar-d'Arêne. Sur ce coté, il repose en position normale (base de la couverture sédimentaire) contre le cristallin du cœur du massif des Écrins. Vers le Sud, le contact passe au pluviomètre, puis sous le refuge ; plus loin, vers le Sud-Est, le contact sédimentaire-cristallin se poursuit dans la base du versant de la bosse de Chamoisière, en arrière du refuge, puis dans le vallon d'Arsine où il s'amincit, pour enfin se terminer dans le vallon du Tabuc.
Pour évoquer la géologie de cette zone de l'Alpe de Villar-d'Arêne, on parle communément du synclinal d'Arsine : ce n'est pas un synclinal au sens rigoureux du terme, mais comme le montre la coupe géologique ci-dessus, une partie de la couverture sédimentaire du massif pincée, écaillée et très déformée entre deux blocs du socle cristallin, le Combeynot et le massif des Écrins. La coupe est orientée SO-NE.
Après avoir dépassé l'éperon, en se retournant on voit que les couches sont ici très raides, elles descendent vers l'Ouest. De droite à gauche, se succèdent les calcschistes liasiques, puis la barre de dolomies claires triasiques. Le cristallin est juste à l'Ouest, en contrebas de la falaise. Lors du raccourcissement alpin, la série a donc été renversée.
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Passer au refuge et continuer vers le Vallon d'Arsine : c'est ici.